1809 – 1865
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L’enfant de la forêt
C’est dans une cabane en rondins, au fond d’une forêt du Kentucky, pas bien loin d’un grand fleuve, l’Ohio, USA, qu’Abraham Lincoln a vu le jour le 12 février 1809. Il n’y reste pas longtemps. Son père a partout de la malchance et change souvent de domicile. En ces temps-là, la vie était très dure en Amérique. Les pionniers n’avaient pas la tache facile. Ils se lançaient à l’aventure vers des régions inconnues où ils se mettaient à défricher avec ardeur, sans toujours récolter le fruit de leur travail. La mère de Lincoln était une lectrice assidue de la Bible, et ce fut une bénédiction pour les siens. Nouveau déménagement. Cette fois-ci, ils se dirigent vers l’Ouest pour gagner un autre Etat, l’Indiana. Il faut traverser le fleuve et pénétrer dans une véritable forêt vierge. La première hutte qu’ils construisent est composée d’une seule pièce dont les fenêtres sont recouvertes de papier huilé. Il n’y a pas de plancher, on marche sur la terre battue. L’eau abonde mais elle est malsaine. On vit de légumes et de gibier. Toute la famille dort sur des tas de feuilles sèches ; quelques peaux de bêtes sont utilisées comme couvertures. Abraham grandit. Il a maintenant sept ans et son père lui donne une petite hache. C’est ainsi qu’il devint à son tour un « fendeur de pieux », comme on appelait les bucherons. Il est fier de pouvoir faire quelque chose pour le bien de la famille. Le soir, sa mère, à la lueur de l’âtre, lui apprend à lire dans la Bible. Ils ne vont jamais se coucher sans avoir prié ensemble. « Je me souviens, dira-t-il plus tard, des prières de ma mère ; elles se sont attachées à moi et m’ont soutenu toute ma vie. »
Un garçon avide de s’instruire
L’endroit que la famille Lincoln habite est appelé poétiquement la Crique du Petit Pigeon. Hélas! Le bonheur y est de courte durée. Le premier hiver qu’ils y passent ruine la santé de la mère, déjà affaiblie par des années de privations et de fatigues. La pauvre malade décline de jour en jour. Pourtant, elle ne se plaint jamais et répète souvent aux siens d’aimer Dieu et de s’aimer les uns les autres. Des membres de sa famille sont venus la rejoindre. Elle se sent bien entourée, mais ses forces déclinent, et il suffit d’une épidémie pour l’enlever rapidement. On n’a pas demandé le médecin : il habite trop loin et, franchement, qu’aurait-il pu faire?
Thomas Lincoln, aidé par son fils âgé de neuf ans, fabrique un cercueil au moyen de quelques planches. L’ensevelissement a lieu dans la tristesse la plus profonde. Il n’y a pas même un pasteur pour faire une prière sur la tombe. Abraham gardera toute sa vie un souvenir vivant de celle qu’il a trop peu connue. Son père, travailleur acharné, se remet à la besogne avec plus d’ardeur que jamais. Le garçon, devenu fort, est à ses cotés, mais il se rend bien vite compte qu’il ne restera pas toute sa vie à couper des arbres dans la forêt. Non pas que le travail soit trop dur. Au contraire, pour son âge, il fournit un effort digne d’admiration. Et pourtant l’enthousiasme lui manque. Il se sent porté vers les livres, un domaine inaccessible à son père illettré. Le travail manuel, dans lequel il excelle pourtant, ne lui plait guère. Il voudrait devenir autre chose qu’un « fendeur de pieux ». » Mon père, affirmera-t-il, m’a enseigné le travail, mais il ne m’a jamais appris à l’aimer. «
Tout va mal dans la cabane. Thomas est morose. Il a la charge de ses deux enfants. Certes, ceux-ci sont déjà conscients de leurs responsabilités, ils apportent une aide efficace, mais chacun s’épuise et, malgré cela, que de choses demeurent en suspens! Le père n’y tient plus. Un beau jour, il s’absente et revient avec une jeune femme, veuve elle-même et mère de trois enfants. Le foyer est rebâti, plus beau qu’avant. La nouvelle maman, qui possède quelque bien, met un peu de confort et de bien-être dans la maison. La cabane est transformée. La porte et la fenêtre ferment mieux. La terre battue est recouverte d’un plancher. Des dépendances sont ajoutées à l’humble hutte : une buanderie et une étable. La maison devient attrayante. Il y a des fleurs dans le jardin.
Plus encore : la nouvelle maman gagne l’affection d’Abraham et l’encourage dans sa voie, celles des études, alors que son père voudrait faire de lui un bûcheron. Qu’importe alors l’instruction! Lire des livres, c’est du temps perdu. Le jeune garçon persévère dans son idée. Il fréquente l’école quand un maître nomade s’arrête quelques jours ou quelques semaines dans les environs. Il y avait, en effet, à cette époque-là, des instituteurs itinérants qui parcouraient le pays pour enseigner de l’instruction. C’était peu de chose, encore fallait-il en profiter!
Abraham est heureux de se rendre à l’école. Il doit souvent faire une demi-journée de marche à l’aller et autant au retour pour recevoir deux heures de leçons dans une cabane où le maître de passage reste un certain temps. À ce régime-là, en neuf ans, il passe douze mois à l’école au maximum. C’est tout ce qu’il a fait d’études régulières dans sa vie!
Nous avons déjà vu que, grâce à sa mère, la Bible a été son premier livre de lecture. Elle sera pendant toute sa vie son livre de chevet et il en connaitra si bien le contenu qu’il citera souvent un passage emprunté tantôt à l’Ancien tantôt au Nouveau Testament.
Comme la fréquentation intermittente de l’école est loin d’apaiser sa soif de savoir, il désire parfaire ses connaissances par la lecture. Mais il n’a pas de livres. Alors, il en emprunte. Il répètera souvent : » Mon ami est celui qui me prête un livre. »
Parlant d’Abraham à sa femme, son père dit : » Vois-tu, je le sens bien, il ne met pas son cœur au travail que je lui donne. Il fait son ouvrage parce qu’il désire m’obéir. C’est un bon fils. Mais il n’a la tête qu’à ses méchants imprimés! «
« Tu appelles méchants imprimés, rétorque la mère, la Bible qu’il lit tous les jours et le voyage du Pèlerin dont il sait presque par cœur le texte? »»
L’honnête Abe
Après quinze ans passés à Crique du Petit Pigeon, dans l’Indiana, le père de notre batelier quitte son humble domaine, aussi pauvre qu’il y est arrivé. On est en février 1830. Il fait très froid. Abe conduit le chariot attelé de deux paires de bœufs. Il a tenu à être du voyage pour aider les siens dans leur nouvelle installation. L’attelage se dirige vers un nouvel Etat : l’Illinois, plus à l’ouest encore que l’Indiana. Thomas Lincoln secondé par sa famille, se remet à défricher, à bâtir une cabane, à labourer et à ensemencer. Que de travail pour une maigre récolte qui suffit à peine à les nourrir tous! Aussi Abe entreprend-il autre chose. Il sait comment faire pour se débrouiller seul. Ses voyages sur le fleuve ont révélé ses possibilités. Il opte pour le commerce et devient garçon d’épicerie. Comme il est aimable envers chacun, les clients l’apprécient. Il a toujours un mot drôle à raconter, et il est d’une scrupuleuse honnêteté.
Un jour, après le départ d’une cliente, il s’aperçoit qu’il a commis une erreur en rendant la monnaie : il a pris 30 cents de trop à la bonne dame. Le soir, il n’est pas tranquille et, après la fermeture du magasin, il fait une heure de marche pour rapporter cette somme à la personne lésée. De tels actes de probité qui se répètent lui valent un surnom : l’honnête Abe et, même à la tête des Etats-Unis, il gardera ce titre de gloire. Son honnêteté foncière, quelle que soit la situation qu’il occupe, est à la base de sa réputation.
Sa persévérance à vouloir atteindre un but le conduit à devenir avocat itinérant. Sa sincérité et la clarté de ses interventions l’amènent à être connu. Cet homme, qui commence à avoir du succès, n’en continue pas moins à vivre dans la présence de Dieu. Chaque jour, il consacre une heure à la prière et à la lecture de la Bible. » Au sujet de ce Livre si grand, écrit-il, je n’ai qu’une chose à dire. C’est le meilleur don que Dieu ait fait à l’homme. Tout ce que le monde doit à notre bon Sauveur lui est donné par le moyen de ce Livre. Sans lui, nous ne pourrions pas savoir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Toutes les choses les plus désirables pour le bonheur de l’homme, ici-bas et au-delà, y sont dépeintes. »
Il y a plusieurs églises à Springfield. Elles se font concurrence ; elles n’ont pas de lien les unes avec les autres ; elles se préoccupent surtout d’augmenter le nombre de leurs membres. Lincoln est souvent sollicité de faire partie de telle ou telle communauté. Bien des gens le critiquent parce qu’il refuse de devenir membre de quelque église que ce soit. Pourquoi cette attitude? Un jour, il s’est expliqué à un ami : » Quand une église inscrira sur ses autels, comme seule qualité requise de ses membres, le sommaire de la Loi et de l’Evangile donné par le Sauveur : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée ; tu aimeras ton prochain comme toi-même, alors je pourrai entrer dans cette église de tout mon cœur et de toute mon âme, «
« Abraham Lincoln de l’Illinois »
C’était un dimanche matin, en février 1860. Un homme de grande taille aux gestes gauches, mal à l’aise dans un habit noir peu approprié à sa stature, errait sans but dans un quartier de New York, où il venait d’arriver, après un long voyage nocturne en chemin de fer. Il marchait la tête baissée. Son visage énergique semblait avoir été taillé à coups de hache et ses yeux intelligents mais tristes trahissaient une inquiétude profonde.
De temps en temps, il s’arrêtait comme s’il cherchait quelque chose, puis il repartait, le regard illuminé. Ses lèvres s’animaient. Visiblement, il méditait un discours. Son allure était celle d’un prédicateur itinérant.
Soudain, un chant retentit dans la rue déserte, notre flâneur releva la tête. C’était un cantique entonné par des enfants réunis dans un immeuble voisin. L’homme sut vite trouver le lieu d’où venaient ces sons mélodieux. Peut-être a-t-il reconnu un air que fredonnait sa mère quand il était tout petit. Il pénétra dans le local et, sans déranger la leçon d’école du dimanche, s’assit sur une chaise au fond de la salle. Ses longues jambes l’embarrassaient et, souvent, il changeait de position. Après le récit biblique, le moniteur se tourna vers le nouveau venu et le pria de dire quelques mots, croyant sans doute avoir affaire à un pasteur de passage. L’inconnu s’avança vers le pupitre et se mit à raconter des histoires aux enfants. Quel silence et quelle joie sur tous les visages!
L’orateur était très drôle ; dès qu’il faisait mine de s’arrêter, les enfants criaient : » Encore! Encore! » Tout a une fin. Le monsieur si captivant prit congé de son auditoire enthousiaste et le moniteur, en le reconduisant à la porte, lui demanda son nom ; il répondit simplement : » Abraham Lincoln, de l’Illinois. «
Il dut se dépêcher pour arriver à temps dans l’immense salle de conférence où un nombreux public l’attendait. Il y avait là tout ce que New York comptait de mieux en fait de personnalités. L’élite de la cité s’était donné rendez-vous pour écouter l’homme de l’Illinois, candidat à la présidence des Etats-Unis.
Conviction en Dieu
La lutte contre l’esclavage est ardue, mais elle peut compter sur le droit. Une bonne cause doit triompher. Telle fut toujours la certitude de Lincoln. Le droit fait la force, et non le contraire! D’où lui venait cette conviction? De sa foi en Dieu. Un jour, en tenant le Nouveau Testament qu’il portait toujours sur lui, il s’écria : » Je sais qu’il y a un Dieu, et que ce Dieu hait l’injustice et l’esclavage. Je vois venir l’orage, et je sais que Sa main l’a préparé. S’il a une place et l’ouvrage pour moi – et je crois qu’il les a – je suis prêt à lui obéir. Je ne suis rien, mais la vérité dans la liberté est tout ; Christ l’a enseigné, et Christ c’est Dieu… Douglas (c’était un autre candidat à la présidence) ne se soucie pas que l’esclavage soit aboli, mais Dieu s’en soucie, l’humanité s’en soucie, moi je m’en soucie aussi et, avec l’aide de Dieu, je ne faillirai pas à ma tâche. «
Voilà l’homme qui fut élu président des Etats-Unis le 6 novembre 1860, avec la ferme volonté d’appliquer la loi que les fondateurs de l’Union avaient formulée.
Complot contre le Président
Le président est assassiné! Telle est la tragique nouvelle qui jette la consternation dans tout Washington, un soir de vendredi Saint, le 14 avril 1865. La population est encore en fête. Les « Sudistes » ont enfin capitulé. La guerre est finie, et chacun s’en réjouit à sa manière. Il y a de la joie sur tous les visages, et le gouvernement laisse la détente se manifester librement. Tout à coup, au milieu de la fête, des gens chuchotent : « Lincoln vient d’être assassiné! » Qui peut bien répandre un bruit pareil, après dix heures du soir? Ceux qui viennent d’être témoins du drame, au Théâtre Ford, où le président, en compagnie de son épouse, assistait à la dernière représentation d’une comédie populaire : Notre cousin d’Amérique. C’est une histoire bouleversante.
Ce jour-là, Abraham Lincoln était vraiment heureux. Au début du mois, Richmond, la capitale des rebelles, avait été prise par les troupes gouvernementales. Les chefs des « Sudistes » avaient quitté les lieux en toute hâte, laissant la population dans un désarroi indescriptible. Le premier bataillon qui avait apporté de l’aide aux gens terrorisés, était une troupe de Noirs, bien disciplinés, braves et généreux. Lincoln en avait été fier. Il s’était rendu lui-même dans la ville détruite, entouré d’une petite escorte de marins. Les esclaves étaient sortis de leurs cases pour l’acclamer en s’agenouillant devant lui. Il leur avait dit humblement : « Vous devez vous agenouiller seulement devant Dieu, c’est Lui qu’il faut remercier pour la liberté qu’Il vous accorde. Et cette liberté, vous devez maintenant vous en rendre dignes. Apprenez les lois et obéissez-leur pour devenir de bons citoyens. »
Malheureusement, bien que Lincoln eût été menacé plusieurs fois, la police ne savait rien d’un complot tramé contre le gouvernement. Un acteur réputé, John Wilkes Booth, partisan du Sud, voulait, à l’aide de quelques complices détraqués, pour venger les vaincus, tuer Lincoln et ses principaux collaborateurs. En premier lieu, alors que la guerre sévissait encore, il avait eu l’intention de les capturer pour les livrer aux « Sudistes » qui s’en seraient servis comme otages. Une idée très bizarre, mais l’homme aussi était étrange. Orgueilleux et prétentieux, il ne se contentait pas de ses succès au théâtre. Son ambition suprême, c’était de jouer un rôle dans l’histoire.
Booth ce fameux vendredi, a pu préméditer son crime dans tous les détails. Il connaissait parfaitement le Théâtre Ford, y avait ses entrées à toute heure et il savait exactement quand il abattrait le président, à quel moment de la comédie. Il avait aussi préparé sa fuite, une fois le meurtre commis. Tout se passa comme prévu.
Lincoln et son entourage étaient si captivés par la pièce que personne n’aperçut le bandit qui s’était introduit comme un fauve dans la loge en remettant un vague papier au planton de service. Booth tira dans le dos du président qui s’affaissa et, d’un bond, il sauta sur la scène, disparaissant dans les coulisses pour trouver à l’extérieur un cheval prêt à l’emmener. Il se foula néanmoins le pied ce qui ne l’empêcha pas de fuir.
Tout ce drame affreux se déroula en un clin d’œil. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’on s’en rendit compte de ce qui s’était passé. Le président râlait, et son épouse se lamentait, disant : « C’est de ma faute! » Elle l’avait, en effet, encouragé à venir au théâtre mais elle n’était pas responsable du concours extraordinaire de circonstances qui a favorisé l’assassinat de son mari.
Un jour, il prononça deux paroles admirables qui aideront bien des gens à surmonter les épreuves : « Partout où je suis allé et où j’ai trouvé un chardon, j’ai essayé de l’arracher pour planter une fleur à sa place, quand je pensais qu’une fleur pouvait pousser. »
« Oh! Comme il doit être dur de mourir et de ne pas laisser le monde un peu meilleur pour y avoir passé. »
Pasteur Eugène Porret, Clartés\Noël 1965, Société des Ecoles du dimanche, Lausanne, Suisse